Genèse du bloc opératoire Saint-Joseph ou
L'alliance de la lumière et de l'antisepsie !
Par Alain et Monique Neidhardt
1959 -- 12 fév 2009
Jubilé du bloc opératoire
Saint-Joseph
Au début de l'année 1847, la douleur per-opératoire était maîtrisée.
Le succès des interventions chirurgicales restait lourdement grevé par une mortalité allant de 20 à 30% pour des raisons de surinfection de la plaie opératoire, en relation avec l'ignorance des praticiens sur l'existence microbienne.
Lister, à Londres, sera le premier à appliquer des mesures d'antisepsie qui feront chuter le risque létal de ses interventions à 2%. Il en remerciera publiquement Pasteur et les années suivantes verront se développer les mesures d'antisepsie et surtout d'asepsie.
  Les blocs opératoires en tiendront de plus en plus compte et les opérateurs auront ainsi le temps de devenir plus précis et méticuleux, imaginant que le temps ne comptait plus pour mener une intervention à bien. Encore fallait-il pour cela y voir clair ! Pour ces raisons de " clair-voyance ", à la façon des ateliers des rapins, les blocs étaient souvent juchés au dernier étage des bâtiments hospitaliers, sous de grandes verrières, frontales voire zénithales ou au rez-de-chaussée, à la façon des jardins d'hiver et toujours exposés au sud pour ce qui est de l'hémisphère nord . En effet, l'éclairage artificiel n'avait rien à voir avec nos pratiques contemporaines. Le gaz fut introduit dans les hôpitaux à partir de 1854 et Besançon ne fut pas en retard à cet égard.  




A Lyon, Antonin Poncet inaugurait en 1889 un bloc opératoire devant allier impératifs d'asepsie et d'éclairage efficace au gaz, ce qui n'alla pas sans quelque problème et explosion !

Ce bloc opératoire, issu d'une étude préalable méticuleuse menée sous des latitudes variées et de l'expérience du champ de bataille de 1870, cumulait les particularités suivantes : sas d'entrée et changement d'habits des intervenants, murs couverts de glaces faciles à arroser à l'aide de substances nettoyantes, tables et étagères en métal et verre, drainage déclive au sol permettant la disparition rapide des " sanies ", disposition d'eau stérilisée pour le lavage des mains et des avant-bras, présence exclusive du personnel nécessaire au bon accomplissement de l'opération.

La lumière puissante d'un système Wenham au gaz, à bec de Punch renversé, complétait l'éclairage produit par une baie occupant tout un mur et orientée plein Est.





Mais qu'en était-il de la fonction didactique des opérateurs dans les Ecoles de Médecine ? Elle imposait la plupart du temps d'opérer dans de vrais amphithéâtres à gradins, restés fonctionnels assez tard pour certains d'entre eux !
Et nous avons en tête la représentation de grands maîtres de la chirurgie entourés d'une multitude : Th. Billroth en 1881 à Vienne, Ernst von Bergmann en 1886 à Berlin, la pratique de l'Uni-Klinik de Frankfurt en 1933.


L'usage de ces amphithéâtres était encore d'actualité à Glasgow, en 1978 ou à Cluj-Napoca en 2003..
Plus intimes étaient quelques dispositifs à l'espace réduit aussi bien " aux colonies " à Baltimore où Halsedt en 1905 imposa l'usage des gants stériles qu'à Besançon où oeuvrait en 1919 le professeur Victor Heitz, aidé par son second, Virgile Chaton.

L'éclairage avait fait des progrès, cependant, avec l'arrivée au début du siècle dernier de la fée Electricité.

De lourdes suspensions diffusaient une lumière intense et très calorigène, tout en retenant des poussières locales parfois difficiles à exclure totalement au cours des opérations. Cette dernière particularité semblait imposer dans bien des esprits de bouter hors des blocs les observateurs et les sources lumineuses sans négliger pour autant la pédagogie ni l'éclairage.

 

Sont ainsi apparus trois concepts apparemment fort satisfaisants :

  • La voûte elliptique réfléchissante de André Walter,
  • La voûte de Blin, et
  • Le superscialytique.

Ces trois dispositifs avaient même prétention :

  • Apporter une parfaite luminosité dans le champ opératoire
  • Exclure la source lumineuse de la zone opératoire.
  • Transposer les étudiants et observateurs dans un espace sus-jacent mais en dehors du bloc proprement dit.

Le superscialytique était issu d'un système plus simple et très ingénieux, proposé dès 1919 par le professeur Louis Vérain, de la Faculté des Sciences d'Alger. Le nom de Scialytique, composé par l'inventeur, est parfaitement explicite. L'appareil permet d'éclairer la zone de travail sans être incommodé par une ombre projetée. Il suffisait de disposer d'une source lumineuse puissante entourée d'une couronne de miroirs réfléchissant de façon concentrique les rayons vers le lieu à éclairer, le faisceau direct étant neutralisé par un obturateur central.

Les miroirs, avec le temps, furent remplacés par des dispositifs de Fresnel et la taille du scialytique fut considérablement majorée. Ce " Superscialytique " était suspendu à une crémaillère en arc de cercle au-dessus de la zone opératoire dont il était séparé par une voûte de verre. Un mécanisme permettait une circum-propulsion de la crémaillère tout autour de la voûte de verre. Tout était ainsi favorable au choix précis de l'axe d'éclairage voulu par le chirurgien.
A l'étage supérieur, les observateurs, disposés en cercle, autour de l'appareil avaient une vue idéale du déroulement des interventions.
Les autres procédés étaient considérés par L. Vérain, sans malice disait-il, comme des " contre-façons "

- La voûte proposée par l'ingénieur Blin partait d'une idée similaire :
Au-dessus de la salle d'intervention un hémisphère, ajouré pour permettre l'observation du champ opératoire, comportait une soixantaine de projecteurs puissants qui s'allumaient par groupe en fonction du désir de l'opérateur et par déplacement d'un plot stérile sur une tablette de contacts.
Les deux dispositifs équipaient plusieurs blocs opératoires de l'Hôpital Universitaire d'Alger et de la cité Hospitalière de Lille, que nous avons bien connus.
- Le troisième procédé était lié aux travaux d'André Walter, brillant ingénieur originaire de Montbéliard : une hémicoupole, dont la concavité est recouverte de matériel réfléchissant, se trouve au-dessus du champ opératoire. Elle fait face à une cloison transparente derrière laquelle un projecteur de large diamètre peut se mouvoir aussi bien en translation horizontale qu'en orientation verticale. Les rayons incidents sont ainsi réfléchis et convergent vers la zone utile où le praticien attend le meilleur éclairage. Un système de timonerie permet de l'intérieur du bloc d'imposer à la source lumineuse les variations d'orientation jugées utiles.

Dans l'hémicoupole, des hublots sont ménagés pour permettre aux observateurs de suivre les phases de l'opération.
La recherche d'une antisepsie poussée complète l'ensemble par la disposition d'un insufflateur " Airstérile " d'air stérilisé en régime laminaire, qui crée une légère pression hyperbare dans la salle. Toute intrusion de fluide extérieur est ainsi exclue grâce à l'écoulement permanent de l'air vers l'extérieur. C'est cette dernière solution qu'avait envisagée Lucien Bessot, le nouveau Chirurgien chef de Service, nommé en 1952 et très satisfait des conditions de travail qu'offrait la " voûte Walter " similaire dont il disposait dans la "Clinique de la Compassion " où il oeuvrait précédemment.
La décision fut adoptée par la Commission médicale et la Commission administrative de l'établissement. En 1953, le devis initial était estimé à cinquante millions de francs de l'époque.
La sollicitation des différents organismes payeurs, l'obtention de l'accord du ministère de tutelle et la justification des dépenses, tout cela est très " chronophage " et au décours du temps, l'érosion monétaire n'arrange pas la prévision budgétaire ! Aussi le devis parvint-il à cent millions de francs en septembre 1954 ! Le professeur Bessot montrait quelques signes d'impatience … En 1956, les travaux purent commencer après adjudication au bénéfice des différentes entreprises.

L'architecte Painchaux , ses conseillers techniques et l'ingénieur Cornut firent valoir plusieurs modifications répondant au poids de la chose et à l'importance de son alimentation électrique.

La Société Française de Produits Oxygénés, la maison Sulzer de Lyon, les établissements bisontins Milazi, Est-Electrique, Hugenschmit purent enfin en 1957 travailler de concert et permettre aux établissements Walter de conclure l'ouvrage par la pose de la coupole !
Bien sûr il y eut quelques tracasseries de seconde importance, comme l'estimation de préjudice par les établissements Walter, gênés dans leur prévision par le retard des autres corps de métiers et contrebalancée par une redevance d'indemnité réclamée par le trésorier hospitalier suivant un barème que seuls les initiés sont en mesure d'apprécier :

M=950.000(0.10 + 0.90 x 556,73/471 x 1.163,8)

En avril 1958, disparaissait le professeur Lucien Bessot, frustré de la contemplation de la réalisation de ses projets. Le professeur Paul Milleret lui succéda. En décembre 1958, on évoque la fin des travaux et l'on établit un " devis de revalorisation " de 23.972.000 F.

Le 26 février 1959 la mise en fonction du " nouveau bloc Saint-Joseph " semble être effective, huit ans après les propositions du Docteur Lucien Bessot.
 

La préoccupation des hospitaliers de Besançon se tourne alors vers les nouveaux chantiers que sont le projet de construction de la Nouvelle Ecole de Médecine et la transformation de l'ancien bloc opératoire Saint-Joseph et de ses annexes : il y en aura pour 30.447.200 F !
D'autres implantations de blocs suivant les propositions d'André Walter furent réalisées en France, notamment dans les hôpitaux de Paris : Necker-Enfants-Malades et Broussais, de Niort, de Brest et de Lille
Modernes hier, ils ne furent plus considérés comme répondant à un critère très évolutif qu'est la modernité et furent détruits pour la plupart ou distraits de leur fonction première.

Le nôtre reste attaché à la science médicale, sous forme de Muséum, écrin de richesses évocatrices de l'évolution des techniques médicales.
Il est à souhaiter que ce patrimoine architectural et médical soit ménagé pour rester le témoin d'une époque révolue mais fort dynamique.

Besançon, février 2009

 

Sources

  • Lister (Joseph). On the antiseptic principle in the practice of surgery. In : The Lancet, 1867, volume II (2nd semester), 21st September and 30th November, pp. 353-356 et 668-669
  • Lucas-Championnière (Just). De l'emploi de la méthode antiseptique en chirurgie. In : Journal de médecine et de chirurgie pratiques,
    janvier 1869, pp. 14-19
  • Letievant (Jean-Joseph-Émile). Introduction et installation définitive de la méthode antiseptique dans les hôpitaux de Lyon : ses conséquences. In : Journal de médecine de Paris, 1881, volume I (2e semestre), pp. 41-46.
  • Poncet (Antonin) : Une salle d'opérations à l'Hôtel Dieu de Lyon. Revue de Chirurgie, 1899, T.IX-41, 605-637.
  • Une salle d'opération avec tribune pour spectateurs. In : La Construction moderne, tome XXXVIII (1922-1923), 8 avril 1923, pp. 326-328 et pl. 109 et 110.
  • L'éclairage électrique rationnel et son application aux établissements hospitaliers. IV. L'éclairage des salles d'opérations. In : Revue des hôpitaux. Organe des hôpitaux et hospices de France. Bulletin mensuel des Unions hospitalières, 15e année (1932), janvier, pp. 54-60
  • Masmonteil (Fernand). Efficience et asepsie de la salle d'opérations. In : Techniques hospitalières, sanitaires et sociales, N°7 (avril 1946), pp. 10-12
  • Dourgnon (Jean). L'éclairage des salles d'opérations. In : L'Architecture d'aujourd'hui, N°15 (novembre 1947), pp. 33-37.
  • Costantini (Henri-Joseph): L'éclairage des salles d'opérations-Le scialytique de Vérain. pp 3-5. Communication présentée au Groupe Algérien de la Société des Ingénieurs Civils de France. 1951
  • Vérain L. La naissance du scialytique pp. 6 - 12. Communication présentée au Groupe Algérien de la Société des Ingénieurs Civils de France. 1951
  • Rambert (Charles). L'équipement technique du bloc opératoire. In : L'Architecture française, N°149-150, 15e année - 1954 : Constructions hospitalières (IV), pp. 50-58.
  • Les recherches britanniques dans la théorie et la pratique de la construction des salles d'opération. In : Techniques hospitalières, médico-sociales et sanitaires, 11e année (1956), N°127 (avril), pp. 38-42.
  • Creyssel (Jean), ALOY (Henri). Le bloc opératoire. In : Techniques hospitalières, médico-sociales et sanitaires, 24e année 1969, N°282 (mars), pp. 63-77.
  • Fischer L.P. & Coll. : Les premières salles d'opérations dites aseptiques après Pasteur. In Histoire des sciences médicales. 1999, T.XXXIII, N°1, 69-81
  • Die Chronik der Medizin. Leitung: Heinz Schott Chronik Verlag Harenberg. Dortmund 1993.

Remerciements

au docteur Pierre-Louis Laget * pour les informations qu'il nous a aimablement prodiguées.
(*) Chercheur à l'Inventaire Général du Patrimoine Culturel D.R.A.C. Nord-Pas de Calais.